Philippe Brunet, initiateur du programme européen d’observation et de surveillance de la Terre, Copernicus, était l’invité d’honneur du Symposium international GEO Blue Planet (qui rassemble tous les 2 ans les producteurs de données océaniques et côtières du monde entier et leurs communautés utilisatrices). Organisé pour la première fois en Europe, cette quatrième édition était co-organisée à Toulouse par la société d’analyse et de prévision océaniques Mercator Océan, l’opérateur du Copernicus Marine Service.
Philippe Brunet qui dirige la Politique Spatiale, Copernicus et Défense au sein de la Commission Européenne, s’est confié à La Tribune, sur l’importance et l’évolution de ce programme unique au monde.
Copernicus a vu le jour en 2001, et est devenu opérationnel en 2014. En quoi consiste-t-il ?
L’Union européenne et l’Agence Spatiale Européenne (ESA) ont lancé, en 2001, l’initiative européenne de surveillance globale pour l’environnement et la sécurité (Global Monitoring for Environment and Security, GMES). Ce programme est aujourd’hui opérationnel et s’appelle Copernicus. Il pèse 4,3 Milliards sur la période 2014-2020. Le programme spatial Copernicus garantit une observation et une surveillance régulières de l’atmosphère, des océans et des surfaces continentales; il fournit des informations fiables, validées et certifiées, à l’appui d’applications et de décisions nombreuses en matière d’environnement, de changement climatique, et de sécurité. Il renforce ainsi la protection des citoyens.
Copernicus, c’est aussi un formidable moteur de croissance économique, générateur d’emplois.
Quel est le poids économique de ce programme et son impact sur l’emploi?
Depuis le début de son cadre financier pluriannuel en 2014, le programme fait vivre plus de 500 entreprises et 3500 emplois dans les 28 états membres de l’UE. Le poids économique est celui de tout programme spatial et industriel. Vous avez un secteur amont, qui passe des contrats et dont le maître d’œuvre est l’Agence Spatiale Européenne (ESA). Avec l’aide des services en lien avec les utilisateurs, cette dernière élabore avec les industriels, notamment Airbus et Thalès Alenia Space (TAS), le prototype des satellites qu’il nous faut, puis passe des contrats de développement pour la production de ces satellites. La Commission Européenne prépare actuellement le nouveau budget du mandat 2021-2028. Sur les 5,8 milliards d’euros que la Commission Européenne devrait débloquer (si ce budget est approuvé par le Parlement européen), près de 4 milliards seront utilisés dans l’infrastructure spatiale. C’est un levier budgétaire énorme pour l’économie spatiale!
Les données observées par satellites, sur terre, dans l’atmosphère ou dans les océans sont distribuées dans toutes les entités en charge des services Copernicus, comme Mercator Océan qui opère le Copernicus Marine Service pour l’UE. Ces derniers peuvent alors les analyser, les calibrer, les valider, les distribuer ou les assimiler dans des modèles qui permettent de produire des prévisions océaniques par exemple.
Le programme avait été conçu, à l’origine, pour servir essentiellement les politiques publiques de l’Union Européenne, de ses Etats-Membres ou des collectivités territoriales. Aujourd’hui, notamment grâce à sa politique d’accès ouvert et gratuit à la donnée, un facteur clé de l’innovation, Copernicus a permis le développement de nombreux services avals commerciaux, un secteur en plein essor. Cette « matière première » gratuite et scientifiquement validée, associée à la diversité d’utilisation des données satellitaires et d’informations expertes des Services Copernicus (infrastructures côtières, énergie, transport, qualité des eaux, santé, tourisme, loisirs, …), permet aux entreprises (PME, start-up, etc.) de se développer, et de proposer des services toujours plus innovants à leurs clients finaux. Le programme Copernicus compte aujourd’hui des centaines de milliers d’utilisateurs.
Copernicus ne cesse d’évoluer. Quels sont les facteurs qui le rendent unique au monde?
Il faut savoir qu’aucun des états membres de l’UE n’aurait pu mettre en place un tel programme seul. C’est une initiative collective, une ambition Européenne, qui mutualise efforts et débouchés. À terme, 15 satellites seront lancés, il fallait donc trouver un marché économique capable de rendre toutes ces données disponibles. Et le marché européen est le plus grand du monde!
Copernicus a misé sur sa politique de libre échange des données. Ce facteur est l’un des plus importants. La donnée n’est gratuite dans aucune industrie de transformation. Ce système a boosté l’innovation. Par exemple, ce n’est pas parce que je vous donne accès à ma mine d’acier et à mon usine de plastique, que vous serez capable de construire, vous-même, une voiture.
De plus, le programme a développé plusieurs pôles d’excellence qui le rendent unique ; une excellence technologique dans les satellites radars, une excellence en altimétrie pour les océans (mesures de la hauteur des eaux), mais également une excellence dans les matières liées aux changements climatique et au CO2.
Enfin, chaque satellite peut désormais aller, plus profondément, dans sa logique de recherche et collecter davantage de données. Les satellites « SENTINEL » 1, 2 et 3, lancés de 2014 à 2016 rapportent, par exemple, 1 petabyte ou péta octet (ndlr : un million de milliards d’octets) de données tous les 3 à 4 mois. On va bientôt devenir le premier producteur de données au monde, après Google.
Comment l’Europe se positionne-t-elle dans domaine spatial pour les années à venir?
L’Union Européenne compte investir 16 milliards d’euros dans le marché spatial, les programmes industriels et le New Space, sur les sept prochaines années (2021-2028). Cela équivaut au budget du CNES, l’agence spatiale française. Les deux programmes spatiaux phare de l’UE, Copernicus (Observation de la Terre) et Galileo (Géolocalisation, très prochainement opérationnel) confèrent ainsi une autonomie totale à l’Union Européenne et dans certains cas, lui assurent également un leadership mondial. La dépense publique a été massive, quasiment la totalité du budget de ces deux systèmes a été reversé à des compagnies européennes. L’Europe doit continuer à faire des efforts importants dans le domaine du spatial, pour garder sa place de leader mondial incontesté.
Article d’origine : https://www.latribune.fr/supplement/la-tribune-now/le-programme-spatial-europeen-copernicus-une-ambition-citoyenne-un-leadership-economique-784674.html