« Alors ??? Elle n’est pas trop froide ? »
Auteurs: Romain Bourdallé-Badie, Eric Greiner, Clotilde Dubois, Fabrice Hernandez, Véronique Landes, Fabrice Messal.
Comme chaque année, en été, la température de l’eau de baignade est l’un des incontournables sujets de discussion dans les stations balnéaires françaises. Avec les vagues des chaleurs de l’été 2018, l’Europe occidentale a vécu un été particulièrement chaud. Sur la côte atlantique, vacanciers et riverains sont agréablement surpris par la température de l’eau et se posent inévitablement les questions : Est-ce normal ? Est-ce que les modèles d’analyse et de prévision océanique confirment que la température est vraiment plus chaude que les autres années ? Comment explique-t-on ce phénomène ? Y-a-t-il un rapport avec le changement climatique ?
Sollicités par de nombreux journalistes ou des particuliers, les scientifiques de Mercator Océan International répondent aux questions les plus fréquentes qui leur sont posées.
Questions/réponses sur la température des eaux de surface sur les côtes françaises de juillet 2018
Question : Est-ce que les températures de surface de la mer du mois de juillet 2018 sont très chaudes ?
Réponse : Oui. Si on compare la moyenne des températures de surface de la mer du mois de juillet 2018 à la moyenne de tous les mois de juillet de 2007 à 2017 (Figure 1), on constate que tout le long des côtes françaises métropolitaines ce mois de juillet a été particulièrement chaud. On observe des températures moyennes supérieures de 1°C et pouvant même dépasser les 2°C à certains endroits.
Question : Où est-ce que les températures moyennes de surface de la mer du mois de juillet 2018 sont les plus chaudes au cours des dernières années ?
Réponse : Cela dépend où l’on regarde. Si on compare la moyenne des températures de surface de la mer du mois de juillet 2018 à celles des autres années (Figure 2), on constate que c’est effectivement le cas pour tout le golfe de Gascogne et la Manche. Le mois de juillet 2018 a été à cet endroit le plus chaud en moyenne au cours des 12 dernières années. Cela n’est par contre pas le cas sur les côtes Méditerranéennes où juillet 2015 et 2016 ont été, en moyenne, plus chauds.
Question : Est-ce qu’on a déjà observé de tels maxima au cours des dernières années ?
Réponse : Encore une fois la réponse est cela dépend où l’on regarde. Si on compare, pour chaque point, le maximum journalier atteint lors du mois de juillet 2018 avec tous les maximums journaliers des mois de juillet de 2007 à 2017 (Figure 3), on constate que cette année 2018 il y a eu des températures record dans plusieurs régions côtières (en jaune et orange sur la Figure 3) : la Manche, la Bretagne et le Pays Basque. Des maximums ont aussi été atteints plus au large dans le golfe de Gascogne et en Méditerranée entre la Sardaigne et les iles Baléares.
Question : Est-ce que ces températures de surface de la mer très chaudes sont dues au changement climatique ?
Réponse : On ne peut pas se prononcer là-dessus. Il est impossible d’attribuer des caractéristiques d’une année particulières au changement climatique car sur un ou peu d’événement on ne peut pas séparer les fluctuations cours terme du système terre des variations plus long terme comme celles du changement climatique. On ne peut parler de changement climatique que si des épisodes se répètent plusieurs dizaines de fois sur plusieurs décennies.
Question : Pourquoi les températures de surface de la mer du mois de juillet 2018 sont très élevées ? (2)
Réponse : Comme souvent lors d’épisodes exceptionnels, c’est la conjonction de plusieurs effets, atmosphériques et océaniques, qui s’ajoutent :
- Un ensoleillement plus fort qu’à l’accoutumé sur une majeure partie de les côtes françaises (Figure 4)
- Des vents plus faibles donc induisant moins de mélange avec les eaux plus profondes et plus froides (Figure 5).
Sur la Figure 4, on constate une très forte anomalie positive de flux solaire, au nord du Golfe de Gascogne et en Manche, qui chauffe la surface de l’océan plus que d’habitude. La température de l’air en surface s’en trouvant aussi impactée. Cela est notamment le reflet de l’ensoleillement exceptionnel constaté sur les côtes Nord françaises au début de l’été.
A cet effet vient s’ajouter l’action de vents plus faibles (Figure 5) qui ne vont pas engendrer un fort mélange vertical et donc pas mélanger les eaux chaudes de surface avec celles plus profondes et plus froides. Le réchauffement exceptionnel des eaux de surface sur les côtes Méditerranéennes est plus faible car l’anomalie positive de flux solaire est moins forte. (Voir encadré « Pour aller plus loin… »)
Figure 4 Anomalie du flux solaire (à gauche) et de la température de l’air à 2m (à droite) du mois de juillet 2018
Figure 5 Energie transmise à l’océan par le vent pour la moyenne des mois de juillet de 2007 à 2017 (à gauche) et pour le mois de juillet 2018 (à droite)
Pour aller plus loin…
Voici deux schémas simplifiés pour illustrer les effets de l’ensoleillement et de la force du vent sur les eaux de surface et en profondeur.
Effet de l’ensoleillement :
L’effet de l’ensoleillement sur les eaux sous la surface dépend de la turbidité de l’eau (teneur en matières qui la troublent). Généralement, peu de lumière atteint les 80/100 mètres de profondeur. L’effet de l’ensoleillement concerne donc les premiers mètres. Plus l’ensoleillement est important, plus les eaux de surface et les eaux profondes vont se réchauffer.
Effet de la force du vent (mélange vertical) :
Le vent à la surface de l’eau va provoquer un mélange vertical lié à la force avec laquelle il souffle. L’effet de ce mélange vertical (qui distribue la chaleur vers les eaux en profondeur) peut atteindre plusieurs dizaines de mètres en profondeur. Ainsi, plus (/moins) le vent est fort à la surface de l’eau, plus (/moins) le mélange vertical est important et plus (/moins) les eaux de surface se refroidissent.
Lire la suite : Ocean Monitoring Indicators
Lire la suite : Ocean State Report
N.B : Les cartes sont libres de droit, vous-pouvez les publier / diffuser.
(1) Une anomalie est la différence entre une valeur d’une variable à un moment donné et la valeur de cette même variable moyennée sur une longue période.
(2) Une étude plus approfondie sur cette période estivale sera publiée dans la quatrième édition de l’Océan State Report du Copernicus Marine Service portant sur l’année 2018.
Note : Les cartes présentées dans cet article ont été réalisées à partir de données issues des modèles d’analyse et de prévision de l’état de l’océan du Copernicus Marine Service, le service européen de surveillance des océans, opéré par Mercator Océan International.