Suivi des jeunes tortues de mer : une nouvelle étude par Mercator Ocean met en évidence le potentiel des balises miniaturisées

Un nouvel article publié dans la revue internationale Animals met en évidence les dernières technologies permettant de suivre les tortues marines pendant leurs « années perdues » (« lost years » en anglais). Dirigée par Tony Candela, océanographe et modélisateur d’écosystèmes marins à Mercator Ocean, l’étude décrit les résultats de trois années d’expériences au cours desquelles des scientifiques ont équipé 160 jeunes spécimens de quatre espèces différentes de tortues marines avec de nouvelles balises microsatellites.  

Ces expériences font partie d’un projet plus vaste appelé « Lost Years Initiative » mené par Upwell, une ONG basée en Californie. Malgré la réduction de l’alimentation en énergie et des capacités de transmission, induite par la miniaturisation, l’étude a démontré que ces balises peuvent représenter des outils utiles pour suivre les tortues de mer au cours de leurs premières années de vie, lorsque leur petite taille et leurs comportements mystérieux constituent un défi pour la réussite des efforts de suivi.  

Les données d’observation recueillies grâce à la technologie de balises microsatellites viennent compléter et améliorer les modèles numériques existants, permettant ainsi aux chercheurs d’en savoir plus sur les tortues marines juvéniles et leurs comportements. 

Les années perdues : une phase cruciale de la vie des tortues marines 

Si d’une part, les balises satellites sont d’excellents outils pour suivre les tortues marines adultes sur de vastes distances et de longues périodes, le suivi des jeunes tortues reste un défi de taille. La difficulté vient surtout du fait que les jeunes tortues marines ont des carapaces bien plus petites et qu’elles présentent des comportements qui soulèvent encore de nombreuses questions au sein de la communauté scientifique. Cette phase de leur développement est souvent surnommée « années perdues » : elle représente un manque d’information d’environ 10 à 20 ans dans la vie de la tortue. 

Suivant leur éclosion, les tortues marines s’aventurent en haute mer, où elles sont confrontées à de nombreuses menaces pour survivre. À ce stade précoce de leur vie, les tortues marines ne mesurent que quelques centimètres et ne possèdent qu’une faible capacité de nage, ce qui les rend très vulnérables à de nombreux prédateurs.  

Toutefois, cette phase est cruciale pour la survie globale de l’espèce, et ce pour plusieurs raisons. La mortalité des jeunes tortues réduit d’abord directement le nombre de futurs adultes, entravant ainsi la capacité de la population à se reproduire. De plus les tortues adultes occupent souvent des zones découvertes au cours de leurs première migrations, en tant que juvéniles. En suivant les jeunes tortues, les scientifiques peuvent ainsi obtenir des informations précieuses sur leurs futures chemins migratoires et leurs destinations. 

Il est donc essentiel de comprendre ces « années perdues » afin de soutenir les efforts de conservation du milieu marin. En en apprenant davantage sur cette phase critique de la vie de la tortue marine, les chercheurs pourront aider au développement de stratégies plus efficaces pour protéger les tortues marines tout au long de leur cycle de vie. 

Marquage satellite des jeunes tortues de mer : une nouvelle technologie porteuse d’espoir, mais des défis subsistent 

Publié dans la revue scientifique Animals, l’article intitulé « Novel Microsatellite Tags Hold Promise for Illuminating the Lost Years in Four Sea Turtle Species » met en lumière une nouvelle technologie de suivi miniaturisée qui pourrait enfin permettre aux chercheurs de découvrir les schémas de migration et les interactions environnementales des tortues de mer aux premiers stades de leur vie. La miniaturisation des balises présente de nombreux défis : des facteurs tels que la robustesse, le coût hydrodynamique et la durabilité doivent être soigneusement mis en équilibre avec une alimentation en énergie adéquate ainsi que des capacités de stockage et de transmission de données fiables qui permettent aux balises de remplir efficacement leur fonction. 

L’étude a été menée sur de jeunes spécimens de quatre espèces différentes de tortues marines : les jeunes tortues caouannes (Caretta caretta), vertes (Chelonia mydas), de Kemp (Lepidochelys kempii) et luths (Dermochelys coriacea). Les tortues ont été équipées de balises solaires ou non solaires et ont ensuite été relâchées dans quatre endroits différents de l’Océan Atlantique Nord : Jekyll Island (GA, États-Unis), Floride de l’Est (FL, États-Unis), Grand Cayman (Îles Cayman) et l’archipel des Açores (Portugal). 

Figure 1. Map of the North Atlantic Ocean summarizing all the release sites used since 2020 to deploy the microsatellite tags (n = 164) analysed in the present study. (from Candela et al., 2024 in Animals)

Dans l’ensemble, les auteurs sont satisfaits des capacités de transmission observées au cours des trois années d’étude. Les expériences menées ont fourni des résultats encourageants en termes de capacités de transmission, puisque les balises microsatellites déployées ont montré des signaux satisfaisants en termes de qualité et de régularité, avec relativement peu de fenêtres de transmission manquées, en particulier pour les balises alimentées par énergie solaire. 

Pour autant, la miniaturisation des balises pose encore des défis technologiques, que les auteurs identifient davantage dans la robustesse des balises et de leur fixation que dans la durée de leur batterie. Tout au long de l’étude, certains dispositifs ont cessé de transmettre des données et les causes peuvent avoir différentes origines, du détachement de la balise dû à la croissance des tortues marines ou à leurs interactions avec l’environnement (certaines tortues marines frottent leur carapace sur les rochers ou le fond marin), aux importants comportements de plongée et aux attaques de prédateurs. 

Selon Tony Candela, auteur principal de l’article, « en confirmant que les nouvelles balises microsatellites peuvent assurer une transmission régulière et de qualité, l’étude donne à la communauté scientifique mondiale des informations sur les avantages des nouvelles technologies de miniaturisation pour suivre les jeunes tortues marines. Cependant, la faible puissance de transmission et la robustesse apportées par le processus de miniaturisation restent un grand défi« . 

Figure 2. Juvenile loggerhead (a), Kemp’s ridley (b), leatherback (c) and green (d) turtles equipped with prototypes of solar (a) and non-solar (bd) microsatellite tags. Images provided by Emily Turla (a,d), Jekyll Island Authority (b) and Jay Paredes (c). (from Candela et al., 2024 in Animals)

Balises microsatellites et modèles numériques : deux instruments complémentaires 

Dans l’étude “Dispersal of juvenile leatherback turtles from different Caribbean nesting beaches: A model study” publiée en 2022, Tony Candela et notre expert océanographe Philippe Gaspar, en collaboration avec George L. Shillinger de l’organisation non gouvernementale Upwell, ont présenté un modèle numérique dans lequel les jeunes tortues luth se dispersent sous l’effet combiné des courants océaniques et des mouvements de nage induits par l’habitat. Alors que les tortues dérivent passivement avec les courants océaniques, elles nagent activement vers des habitats favorables, riches en nourriture et qui présentent des températures d’eau adéquates. 

Selon les auteurs, ce modèle numérique complète les « années perdues » des tortues luth obtenues grâce à la technologie de suivi par satellite. Aujourd’hui, comme le décrit la nouvelle étude, la miniaturisation réussie des balises satellites pourrait encore améliorer les efforts de suivi pour comprendre le comportement des jeunes tortues marine et, par conséquent, alimenter le modèle numérique avec davantage de données. 

« Les modèles numériques sont théoriques, tandis que les balises microsatellites fournissent des informations « réelles ». Nous pouvons utiliser des modèles numériques pour combler les trous laissés par l’observation par satellite et, inversement, les données réelles peuvent valider nos modèles numériques » explique Tony Candela. « Le suivi par satellite est très utile à Mercator Ocean pour calibrer les modèles numériques et continuer à développer la connaissance de l’Océan pour favoriser un environnement marin plus sain« .  

En effet, les tortues marines sont des espèces bioindicatrices dont la présence, l’absence, l’abondance ou l’état de santé fournissent des informations sur la qualité de l’environnement dans lequel elles vivent : si les tortues marines se portent bien, cela signifie que l’Océan se porte bien. 

Pour en savoir plus : 

*Cette étude est soutenue par Mercator Ocean International, Upwell et Aquarium La Rochelle  

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