Mercator Océan International (MOi) dispose d’une offre d’expertise et de service de pointe pour l’analyse et la prévision des océans. Récemment, il a développé un système régional haute résolution couvrant les Caraïbes, destiné à améliorer la prévision des échouages d’algues sargasses pour le gouvernement français.
La surabondance et l’échouage de ces algues en particulier cette dernière décennie sur les côtes antillaises, d’Amérique centrale et du Brésil est un véritable fléau engendrant d’importants problèmes socio-économiques, écologique et sanitaire : les algues envahissent les plages les plus populaires, les ports et les baies, elles empêchent la navigation et la pêche locale, et une fois échouées, elles dégagent un gaz nauséabond toxique (à base de sulfure d’hydrogène et d’amoniaque).
Le gouvernement français a demandé de l’aide pour suivre et prévoir la prolifération des sargasses.
En effet, la France est impactée en Martinique et en Guadeloupe et Météo France a le mandat de surveiller la dérive de la pollution dans ces zones. MOi soutient Météo France et fournit un modèle de prévision global et un nouveau modèle régional haute résolution pour alimenter le modèle de pollution de Météo France appelé MOTHY (le même protocole est appliqué ici que lorsque nous avons une pollution pétrolière) Dans le cadre d’une convention de 18 mois signée le 23 Novembre 2020 avec le Ministère de la Transition Ecologique (MTE), MOi s’engage à fournir à Météo France des données de courants de subsurface fiables et plus précises sur la région de l’Arc Antillais, afin d’améliorer les prévisions de dérive des Sargasses et en particulier mieux anticiper les épisodes d’échouage massif de ces algues sur les côtes de la Guadeloupe et de la Martinique.
A partir de ces modèles et diverses informations, Météo France délivre un bulletin de prévision aux autorités locales de Guadeloupe et Martinique. Il permet de les alerter afin d’anticiper les risques associés à l’arrivée massive des algues. La configuration régionale ARCAN36, récemment développé par MOi, permettra une amélioration des prévisions de dérives des radeaux de Sargasses, fournies au travers de ce bulletin.
Qu’est-ce que les sargasses ?
Le développement et la dérive des algues Sargasses sont au départ des phénomènes naturels. Découvertes par les grands navigateurs explorateurs du XVème siècle, ces algues se concentraient principalement dans la mer dite des Sargasses se situant au nord-ouest de l’Atlantique tropical et au nord des Antilles. Mais depuis 2010, de grandes quantités de Sargasses sont observées des côtes ouest-africaines jusqu’au Golfe du Mexique : on parle alors de la «Grande Ceinture des Sargasses » (« The Great Atlantic Sargassum Belt », Wang et al., 2019).
Pourquoi de grandes quantités de sargasses ont-elles été rejetées sur le rivage depuis 2010 ?
Plusieurs hypothèses sont possibles :
- L’apport des nutriments par l’Amazone dû à la déforestation et à l’intensification de l’agriculture en Amazonie, mais cette piste ne semble pas évidente (Jouanno et al., 2021).
- Le réchauffement de l’Atlantique tropical.
- Des changements de conditions hydrodynamiques.
Aucune de ces hypothèses n’ont totalement été explorées pour le moment. C’est probablement parce que la prolifération des Sargasses, leur formation et leur transport vers les Caraïbes résultent de processus biologiques et hydrodynamiques toujours méconnus :
- Peu d’études ont été réalisées sur la physiologie des ces espèces et leur réponse à l’environnement.
- Les vagues, le vent et les courants affectent directement la dérive des radeaux de Sargasses. L’ étendue des radeaux, leur forme et leur épaisseur (pouvant atteindre les 10m) jouent aussi un rôle dans leur dérive. Les modèles de dérive devront prendre en comptes au mieux ces différents aspects.
- Les Sargasses ont tendance à s’aligner avec le vent sur des lignes de 10 à 100km de long et de 1 à 2 km de large. L’amélioration de nos connaissance sur ces processus d’agrégation, et leur prise en compte dans les modèles numériques permettront d’obtenir de meilleures prévisions de dérive des algues.
Les autorités locales et nationales ont de plus en plus besoin de prévoir les échouages de sargasses afin de pouvoir réagir aux conséquences. Compte tenu de l’évolution des conditions mondiales, des « scénarios hypothétiques » sur les algues sargasses pourraient être testés dans un environnement numérique. Par exemple, Mercator Océan pourrait exécuter à la demande du gouvernement français de tels scénarios dans un jumeau numérique de l’océan (DTO). Cette duplication numérique de l’océan est un terrain d’essai précieux où les modèles de sargasses pourraient être intégrés, permettant aux autorités françaises, par exemple, de planifier à l’avance et de concevoir des stratégies de lutte fondées sur les données.
À l’ordre du jour des organismes internationaux et nationaux.
La Commission Océanique Inter-gouvernementale de l’UNESCO (IOC-UNESCO) pour les Caraïbes et les régions environnantes (IOCARIBE), son alliance régionale avec GOOS (IOCARIBE-GOOS), et GEO Blue Planet travaillent avec des organisations partenaires et des parties prenantes pour développer un système d’information et d’alerte multirisque se focalisant d’abord sur la dérive de nappes de pétrole et la dérive des Sargasses. MOi héberge le secrétariat européen de GEO Blue Planet, et dirige le groupe de travail sur les sargasses. Voir GEO Sargassum Hub
Comment fonctionne le modèle?
Un moyen d’atteindre de meilleurs scores de prévision de dérive des radeaux de Sargasses est d’améliorer les modèles de dérive en prenant en compte certaines caractéristiques hydrodynamiques.
MOi livre jusqu’à présent à Météo-France les courants de subsurface (moyennés sur les 100 1ers mètres et aussi sous la couche d’Eckman) issus du modèle global au 1/12° (GLO12), pour forcer le modèle de dérive MOTHY configuré ici pour le suivi des Sargasses et permettant d’obtenir des prévisions à court terme (typiquement 10j) de dérive des algues sur les Antilles et la Guyane. Le forçage de MOTHY par des courants de subsurface de plus haute résolution permettraient d’améliorer ces prévisions.
Dans le cadre de la convention avec le MTE, MOi développe un modèle régional au 1/36° de l’Arc Caribéen, ARCAN36. Ce système est forcé par la marée. Les phénomènes de basse fréquence et de grande échelle sont résolus par GLO12 aux frontières. GLO12 assimile les observations satellitaires et in situ. ( il s’agit d’une méthode dite de Spectral Nudging)
Sylvain CAILLEAU, Océanographe à MOi, et développeur de ce modèle, nous explique « La configuration régionale appelée ARCAN36, d’abord développée, testée et validées en mode R&D, est ensuite intégrée dans la chaine opérationnelle afin de produire au final des prévisions de courant à 10j pour Météo France. Avant la mise en production opérationnelle, à partir d’une simulation de référence sur l’année 2019, MOi s’est efforcé de montrer l’apport de la haute résolution en comparant les résultats obtenus par ARCAN36 et GLO12 sur les caractéristiques hydrodynamiques de la région de l’Arc Antillais et par comparaison aux données observées, issues principalement du Copernicus Marine Service. » L’équipe MOi travaillant sur le modèle ARCAN36 est composée de Sylvain Cailleau, Laurent Bessieres, Guillaume Reffray et Jean-Michel Lellouche.
A MOi, ce travail permet de tester et d’améliorer la capacité interne à mettre en place rapidement et efficacement un système opérationnel régional à haute résolution pour une région donnée et pour une application et un besoin particuliers. Ce chantier permet de développer des outils de diagnostic, de récupérer et d’adapter des outils existants, le tout intégré dans une boîte à outils de validation régionale documentée, hébergée dans gitlab, et accessible à tous à MOi.
Grâce à ce projet, l’objectif de MOi est de pouvoir déployer et valider facilement ce type de système partout dans l’océan mondial et pour de nombreuses autres applications.
Références
Partenariat MOi avec l’équipe PREVIMAR de Météo-France (interactions avec Pierre Daniel et Denis Paradis).
Partenariat de MOi dans le projet FORESEA (interaction avec Julien Jouanno et Léo Berline).
Jouanno, J., Moquet, J. S., Berline, L., Radenac, M. H., Santini, W., Changeux, T., Thibaut, T., Podlejski, W., Menard, F., Martínez, J.M., Aumont, O., Sheinbaum, J., Filizola, N., and N’Kaya, G. D. M.: Evolution of the riverine nutrient export to the Tropical Atlantic over the last 15 years: is there a link with Sargassum proliferation?, Environ. Res. Lett., 16, 034042, https://doi.org/10.1088/1748-9326/abe11a, 2021.
Wang, M., Hu, C., Barnes, B. B., Mitchum, G., Lapointe, B., and Montoya, J. P.: The great Atlantic Sargassum belt, Science, 365, 83–87, 2019.